Facebook : un colosse aux pieds d’argile ?

Dans quelques heures, Facebook fera une entrée fracassante à la bourse de New-York pour ce qui s’annonce déjà comme l’introduction record pour une industrie numérique. Même la Silicon Valley, pourtant habituée à la démesure, n’avait jamais vu cela. Effacée celle de Google, l’ennemi héréditaire, loin derrière. C’est justement là que le bât blesse. La comparaison avec Google fait mal et pose de légitimes questions sur le bien-fondé et la rationalité de la valorisation de Facebook. La société a beau revendiquer près d’1 milliard d’utilisateurs (fin 2012 contre 900 millions actuellement) et un temps passé sur le net par internaute supérieur à celui de Google, ses revenus sont presque exclusivement basés sur la publicité (85%) et les bénéfices sont en baisse en ce début d’année alors que le chiffre d’affaires continue de progresser fortement (+45%). Là est tout le problème. Facebook a du mal à monétiser son omniprésence. D’où les premiers essais d’une option payante en Nouvelle-Zélande qui préfigure l’avenir du groupe.

Si la levée de fonds de près de 6 milliards de dollars en haut de la fourchette prévue (38$) permettra de répondre aux besoins de l’entreprise et à l’activité de croître, on sait également que la bourse reste capricieuse et qu’on peut passer du statut du géant à celui de nain en peu de temps. Prenez l’exemple de Yahoo, leader incontesté et incontestable de la net économie il y a encore quelques années. Un petit nouveau est arrivé quelque temps plus tard. Discrètement, presque sur la pointe des pieds. Il s’appelait Google. Désormais, plus personne ne connaît Yahoo et l’entreprise ne fait parler d’elle que par son rythme hallucinant de présidents débarqués, comme si un nouveau venu allait permettre à la société de retrouver sa gloire perdue. Prenez un autre exemple, plus récent : Groupon appelé à gouverner le monde à en croire la presse dithyrambique à son sujet. Proposé à 20$ le 4 novembre 2011, l’action a flambé les premiers jours pour atteindre plus de 26$ avant de passer sous la barre des 10$ le 9 mai dernier. La bulle a rapidement éclaté pour ce groupe qui avait pourtant levé 700 millions d’euros, soit la plus grosse entrée en bourse pour une société internet depuis celle de Google en 2004.

Aujourd’hui, Facebook sera valorisé à plus de 100 milliards de dollars. Soit autant que Total ou Amazon, deux fois plus que HP mais deux fois moins que Google et cinq fois moins qu’Apple. Quelle sera alors l’étude de son jeune dirigeant, Mark Zuckerberg, face à la pression de ces actionnaires qui ne tarderont pas à lui demander des comptes même s’il conserve l’essentiel des actions (18,4%) et surtout des droits de vote (55,8%)? La question doit être posée d’autant plus que les critiques ne sont pas légion dès qu’il s’agit du géant américain. L’analyste Michael Pachter, de Wedbush Securities, a d’ores et déjà utilisé le mot de « comédie » pour qualifier cette entrée en bourse. Un autre cabinet, IPODesktop, prévoit une flambée les premiers jours puis un retour sous la barre des 20$. Un autre analyste, Andrew Sheehy, de Generator Research, exprime aussi ses doutes : « même si Facebook triplait son chiffre d’affaires, à 16 milliards de dollars, cela ne suffirait pas à justifier une valorisation de 100 milliards de dollars. Il faudra que Facebook réussisse le virage de la publicité mobile et surtout diversifie ses revenus, par exemple en vendant des services à d’autres sites (identifications, personnalisation etc) pour réussir à s’imposer dans la cour des grands, aux côtés d’Apple, Google, Microsoft et Amazon ». Beaucoup s’inquiètent de la capacité de la firme à générer des profits. Et ce d’autant plus que pour la première fois, la courbe de croissance de la publicité n’a pas suivi celle des nouveaux utilisateurs. D’ailleurs, selon une étude de Bloomberg basée sur 1 250 analystes et traders, 79% d’entre eux estiment le prix surévalué.

Pour l’heure, le grand gagnant risque d’être son jeune fondateur et ses co-actionnaires qui représenteront à eux seuls près de la moitié des titres mis en vente à titre personnel. Citons par exemple un des futurs gagnants qui n’est autre que Microsoft ! En 2007, elle avait pris 1,8% de parts, soit 33 millions d’actions, contre un chèque de 240 millions de dollars. Or à un cours d’introduction à 38$, Microsoft n’aura besoin de vendre que 6,6 millions de ses actions pour récupérer sa mise avec au passage 10 millions de bénéfices. C’est en tout cas la stratégie officielle annoncée par le géant américain. Si l’entrée en bourse de Facebook n’est clairement pas une stratégie indiquée pour le père de famille, c’est une mine d’or pour les institutionnels qui sauront, à coup sûr, retomber sur leurs pieds, quitte à laisser l’addition aux petits porteurs. Comme toujours en somme.

One thought on “Facebook : un colosse aux pieds d’argile ?

  1. admin says:

    MAJ 19/05/12: Et voilà, succès plus que mitigé et l’action évite de justesse la clôture au-dessous de son niveau d’introduction grâce au soutien massif des banques d’investissement (introduction à 38$, clôture à 38,23$). On se retrouve avec un groupe basé en grande partie sur du vent autant valorisé qu’Amazon.
    Lundi, 2 scénarios: la montée avec le soutien des bourses du monde entier sevrées d’actions Facebook jusqu’alors ou la déconfiture avec l’autorisation de la vente à découvert (VAD), interdite vendredi. Je vous laisse deviner mon scénario privilégié…

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